1ère PARTIE
1944 , 21 août
Au bout de cinq années de clandestinité, le journal , voix
primordiale
de la Résistance , paraît au grand jour.
Pour un été de fleurs et de flammes.
La feuille , imprimée recto verso , datée du 21 août 1944
,
porte fièrement le numéro 59, quatrième année.
" Il a fallu cinq années de lutte obstinée et silencieuse
pour
qu'un journal né de l'esprit de résistance , publié sans
interruption
à travers tous les dangers de la clandestinité , puisse
paraître
enfin au grand jour dans un Paris libéré de sa honte
..."
" Au grand jour " ...Depuis l'avant -veille , la petite
équipe
qui va faire Combat libéré est l'arme au pied.
La délégation du gouvernement provisoire d'Alger a fait
attribuer
aux titres clandestins ( ils sont treize ) les imprimeries et
bureaux
des quotidiens engloutis dans la collaboration.
" L'Humanité " est logé rue d'Enghien , dans les locaux du petit Parisien
,
que le journal communiste partage avec " Le Parisien libéré "
;
Le populaire socialiste remplace Le Matin boulevard
Poissonnière.
Quand aux quatre publications qui ont été la voix des
mouvements
primordiaux de la Résistance :
Libération est installé dans les locaux de Paris - Soir , rue du Louvre
,
tandis que Défence de la France , Franc-Tireur et
Combat
prennent possession , un étage chacun , de l'immeuble
imposant
du 100 , rue Réaumur , fief du Parizer Zeitung.
Heures fiévreuses.
Après l'entrée de la Résistance à l'Hôtel de Ville et
à la Préfecture de police , le feu vert est donné par alexandre Parodi ,
représentant du Général de Gaulle ; à la fin de l'après-midi du 21 août ,
les rotatives sont autorisées à tourner.
A Combat , le titre était prêt depuis la veille , cinq colonnes à la une
:
" L'insurrection fait triompher la république à Paris
".
Les jeunes crieurs de journaux affluent dans les escaliers
avant
de s'en aller distribuer , à tous risques , dans les
rues
et les banlieues et jusque sur les barricades,
au milieu des tirs sporadiques, les 180000 exemplaires
que
Combat a été autorisé à produire.
Sur place , on jette avec bonheur , à pleines brassées,
des liasses de journaux par la fenêtre.
Simone de Beauvoir qui vient ce jour-là rue Réaumur en
compagnie
de Jean - Paul Sartre , raconte dans " La Force de l'âge "
:
" Du haut en bas de l'immeuble , c'était un énorme
désordre
et une énorme gaieté "
Cette équipe s'est forgée dans la clandestinité.
Pascal Pia en est le patron. Homme de culture et d'expérience
,
il a été avant la guerre dircteur de la rédaction d' Alger républicain
,
où il a connu Albert camus, recruté par lui dès l'automne
1943
et désormais rédacteur en chef.
S'adjoignent à eux Albert Ollivier , futur responsable de la
télévision
au début de la V ième République , Jean Bloch - Michel , jeune
avocat
improvisé administrateur , et deux jeunes
journalistes
Georges Altschuler et Marcel Gimont.
Si Combat s'est acquis d'emblée une place hors de pair
,
et bientôt mythique, parmi cette presse débridée
des premières semaines , il le doit d'abord , chacun le ressent
,
au talent et à l'ardeur d'Albert Camus ,
à sa conviction que morale et réalisme peuvent faire bon
ménage.
A peine trentenaire , il va très vite y élargir le
prestige
que lui valent déjà la publication de " L'Etranger " et
du " Mythe de Sisyphe " et la création , toute récente
,
du " Malentendu " au théâtre.
Nul que lui ne s'est voulu fidèle à une certaine idée de la
presse
définie dans la clandestinité par les résistants.
" Nous n'aurions accompli , dit l'éditorial qu'il a rédigé au nom de l'équipe
, qu'une infime partie de notre tâche si la république de demain se trouvait , comme la Troisième , sous la dépendance étroite de l'argent ...
Le combat continue ..."
On rapporte que de Gaulle aurait dit un peu plus tard à Malraux
:
" Ce sont des énergumènes , mais ils sont les seuls honnêtes.
"
" De la Résistance à la Révolution " : cette formule de Léo Hamon
,
dont le journal fait sa devise , est explicitée de la
sorte
dans l'article en forme de manifeste qui ,
écrit aussi par Camus , donne le ton.
Des " réformes de structures profondes s'imposent sans
lesquelles
une politique de liberté est une duperie ,
avec la destruction impitoyable des trusts ...
Dans l'état actuel des choses, cela s'appelle la Révolution.
"
A suivre ...
( Source Magazine L'Histoire - Décembre 2010 )