Le bonheur est l'impératif catégorique de la pensée camusienne.
Il est le fruit d'une exigence méconnue par les imbéciles :
" Il n'y a pas de honte à être heureux.
Mais aujourd'hui l'imbécile est roi , et j'appelle imbécile celui qui a peur de jouir " , écrit le narrateur de Noces à Tipasa ( Noces ) au terme d'une journée de plénitude , où le bonheur
a d'abord été physique , lié aux joies du corps en harmonie avec la nature.
Sur la priorité du bonheur , que revendiquait Nietzsche en des termes voisins dans La Généalogie de la morale , on pourrait discerner des nuances au fil de la pensée de Camus.
" Il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul " , note Rambert dans La Peste.
Aussi bien le spectateur de l'Etat de siège sera peut-être choqué d'entendre Diego s'écrier : " Je dois m'occuper d'être heureux. "
Mais son exigence personnelle est le corollaire du cri lancé par le Choeur : " Bonheur , bonheur ! Voici l'été ! Qu'importe le reste , le bonheur est notre fierté. "
Le bonheur personnel n'est pas honteux , en effet , du moment qu'il est conçu comme un moyen d'aider les autres.
" Pourtant moi , je suis plutôt tenté de croire qu'il faut être fort et heureux pour bien aider les gens dans le malheur " , déclare Camus quelques mois avant de mourir ( " Gros plan " télévisé ,
12 mai 1959 ).
Dans le même entretien , il déplore qu'il faille aujourd'hui avouer son bonheur comme s'il s'agissait d'une faute.
C'est que , dit-il , de nos jours , " les puissants sont souvent les ratés du bonheur " ( ibid ).
La quête du bonheur à tout prix engendre pourtant , dans son oeuvre , des héros négatifs et tragiques.
Source Le Monde / Hors - Série CAMUS
Dans le cadre du challenge CAMUS , organisé par Hambreellie ,
ce 23 février , il fallait publier un article consacré à une
des oeuvres d'Albert Camus , il s'agit de : " L' ETRANGER ".
Comme j'avais déjà fait un article sur ce livre, voici le lien où vous pouvez le voir :
http://bonheurdelire.over-blog.com/article--l-etranger-albert-camus-1942--42392473.html
Bonne Lecture !
Passionné par les problèmes politiques, moraux et philosophiques que posent les révolutions , Camus a composé " Les Justes "
en 1949 , à partir d'un fait historique réél.
L'agitation des années d'après-guerre , riches en procès politiques et en condamnations à mort , a sensibilisé l'auteur de " L'Homme révolté " aux cas de conscience que rencontre tout
révolutionnaire face à une " noble cause " qui n'a pas de prix.
La pièce met en scène les thèses humanistes de l'auteur sur l'éternel débat , actualisé par les circonstances , de la fin et des moyens.
Camus avait de l'amitié une conception exigeante. Il écrivait en 1938 , dans un article consacré au roman d'Erich Maria Remarque ,
LES CAMARADES : " L'amitié est un thème assez neuf en littérature. Elle exige une certaine aristocratie du coeur qui n'est pas si commune. "
Le prix qu'il attache à ce sentiment rare est confirmé dans
LA CHUTE à travers le personnage de Clamence ,
lorsque celui-ci évoque avec nostalgie les îles grecques où
" les amis se promènent dans la rue , deux par deux ,
en se tenant la main ".
Avec une ironie désabusée , le personnage reconnaît que ce privilège est réservé à " des coeurs purs ".
Ce qui fait le prix de cette " vertu " pour Camus explique en même temps sa fragilité.
La difficulté d'établir une relation transparente et qui dure est liée tout simplement à la difficulté de vivre.
Si l'amitié ne peut que rarement se maintenir au niveau d'exigence où Camus la situe , c'est parce qu'elle réclame des qualités humaines telles que l'altruisme et même le sacrifice de
soi.
Clamence dans La Chute , propose à son interlocuteur un exemple remarquable de fusion avec l'autre : " Voyez-vous , on m'a parlé d'un homme dont l'ami avait été emprisonné et qui couchait tous
les soirs sur le sol de sa chambre pour ne pas jouir d'un confort qu'on avait retiré à celui qu'il aimait. "
Dans la question rhétorique qu'il pose ensuite apparaît une déception amère , dont l'explication immédiate se trouve dans la rupture de Camus avec le milieu intellectuel parisien , et Sartre en
particulier : " Qui , cher Monsieur , couchera sur le sol pour nous ? Si j'en suis capable moi - même ? Ecoutez , je voudrais l'être , je le serai. Oui , nous en serons tous capables un jour , et
ce sera le salut. Mais ce n'est pas facile , car l'amitié est distraite , ou du moins impuissante. "
L'amitié que Camus imagine dans LETTRES A UN AMI ALLEMAND ne résistera pas à l'Histoire. Anticipant l'issue de la guerre , il écrit dans la première lettre : " Nous nous reverrons bientôt si cela
est possible. Mais alors , notre amitié sera finie. Vous serez plein de votre défaite et vous n'aurez pas honte de votre ancienne victoire , la regrettant plutôt de toutes vos forces écrasées.
"
Cependant l'amitié supporte souvent mieux que l'amour la dureté des temps.
Camus exprime à plusieurs reprises une conception idéale , comme dans LA PESTE , ou dans sa correspondance avec le poète René Char. Alors qu'il connaît une période de doute en tant qu'écrivain ,
il lui écrit le 21 juillet 1956 : " C'est pourquoi il faut bien s'appuyer sur l'ami , quand il sait et comprend , et qu'il marche lui-même du même pas. "
René Char et Albert Camus
La liberté joue un rôle fondamental dans la réflexion de Camus.Au début de sa carrière , il l'associe , dans une dimension mythique , à la mer et au soleil , deux divinités du panthéon
camusien.
L'écrivain recourt ensuite aux images concrètes , comparant , dans ACTUELLES II , la liberté à une cousine.
La cousine que les sociétés bourgeoises ne montrent que pour convaincre les critiques éventuels de leur ouverture mais qu'elles tiennent la plupart du temps à la cousine et qu'elles sont prêtes à
violenter si elle fait des siennes.
La cousine que l'on a enfermée dans le placard dans les sociétés communistes dont on ne la ressortira que lorsque la société sans classes sera réalisée , à la fin des temps, donc.
Chez Camus , la liberté peut aussi être une passion purement individuelle visant au bonheur ou à la domination égoïstes - c'est le cas chez Meursault , Caligula ou Martha par exemple.
Mais la recherche de la liberté peut avoir comme but de rejoindre la communauté des hommes et d'éveiller le goût de la liberté chez les autres. Telle était l'une des ambitions de Camus à travers
son journalisme éthique.
Dans ses articles comme dans es essais , la liberté est constamment associée à la justice ou dissociée d'elle.
Son contraire est généralement la servitude qui va de pair avec l'injustice et le mensonge.
Avec la liberté , Camus se heurte donc à un noeud , une pelote de notions capitales - justice , injustice , vérité et mensonge - dont il est difficile de dévider l'écheveau.
" Il n' y a pas de liberté pour l'homme tant qu'il n'a pas surmonté sa crainte de la mort " , note Camus dans ses Carnets , ajoutant que la servitude ne
menace pas qui ne craint pas la mort. Dans ces mêmes Carnets , il dit préférer en dernière instance la liberté à la justice ( l'égalité ) : " Finalement , je choisis
la liberté. Car même si la justice n'est pas réalisée , la liberté préserve le pouvoir de protestation contre l'injustice et sauve la communication ...
Mais le difficile est de ne jamais perdre de vue que la valeur de liberté doit exiger en même temps la justice. Ceci posé , il y a une justice aussi , quoique bien différente , à fonder la
seule valeur constante dans l'histoire des hommes qui ne sont jamais bien morts que pour la liberté.
La liberté c'est pouvoir défendre ce que je ne pense pas , même dans un régime ou un monde que j'approuve. C'est pouvoir donner raison à l'adversaire. "
Au final , la recherche conjuguée de la liberté et de la justice est la seule qui échappe , en principe , à l'institutionnalisation du mensonge.
( Source Le Monde / Hors-série Camus )
Albert Camus est souvent décrit comme un homme aimé par les femmes.
Sur le plan littéraire en revanche , la critique admet généralement que le rôle des femmes est secondaire dans ses oeuvres , la figure de la mère exceptée.
Le théâtre semble proposer des figures féminines plus étoffées que dans les autres oeuvres , par désir , peut-être , de servir la carrière de Maria Casarès.
Mais la Dora terroriste des Justes fait pâle figure face au personnage d'Olga , l'activiste communiste des Mains sales ,
de Jean -Paul Sartre , par exemple.
Chez Camus , c'est souvent par les femmes quel'histoire advient, tragiquement.
Ainsi dans Caligula ,la mort de Drusilla inaugure , l'action.
Dans l'Etranger , une femme sert de déclencheur à la catastrophe qui clôt la première partie du roman.
Dans La Chute , le suicide de la jeune fille mène à l'effondrement de Clamence.
L'amour est à la fois toujours présent et toujours éludé dans l'oeuvre de Camus.
La femme y est d'abord le symbole de la beauté , dont La Mort heureuse célèbre la magnifique inutilité.
La femme est aussi la médiatrice d'une certaine acceptation du monde : il y a chez elle une aptitude au bonheur irréfléchi dont témoignent les vielles des Voix du quartier pauvre.
Le sentiment amoureux n'est qu'un leurre où l'homme s'épuise soit dans l'habitude , soit dans l'amour de son propre reflet , thème longuement décliné dans La Chute , où la femme est cependant
décrite comme " tout ce qui reste du paradis terrestre ".
" Îles démentes " dans les vitrines d'Amsterdam dans le même roman , les femmes sont résolument du côté de la vie , " car elles ont un ventre pour jouir et pour engendrer ". ( L' Etat de siège
).
L'ABSURDE , chez Albert Camus , se vit. C'est dire que ce n'est pas un concept.
Il s'agit d'un fait de sensibilité ( le " sentiment de l'absurde " ) , une " passion " et un mal de l'esprit ( la notion d'absurde ) qui sont répandus , mais spécifiques à l'époque ( la première
moitié du XX è siècle).
Dans son oeuvre , Camus s'efforce de décrire l'absurde sous sa forme épurée , délivrée de sa gangue , pour voir s'il conduit logiquement au suicide.
Dans " L'Homme révolté ", après l'introduction , l'absurde est subordonné à la recherche plus générale sur le nihilisme et son dépassement.
L'absurde est donc une manifestation du nihilisme , lequel demeure, selon le Camus de la maturité , le mal à combattre: " Il n'y a pas un bon et un mauvais nihilisme " dira-t-il dans Actuelles
II.
En liaison avec cette notion d'absurde , les auteurs qui le concernent le plus directement sont DOSTOÏEVSKI et NIETZSCHE.
Leur problématique est en effet proche de la sienne ; et l'un et l'autre annoncent le nihilisme à venir.
Camus le dira dans " L'Homme Révolté " , le nihiliste est celui qui subordonne la vie à des v aleurs , de manière à échapper au caractère difficilement supportable de la réalité: il se cache le
monde à l'aide d'un arrière - monde rêvé dans lequel ces valeurs sont fondées.
Lorsque tout cela s'effondre , deux attitudes sont possibles : le nihilisme passif qui va de pair avec le désespoir , une volonté faible , velléitaire , la fatigue, l'ennui, et le nihilisme actif
qui en appelle au contraire à la volonté , à l'énergie , à l'aventure, au risque , à l'action.
L'homme absurde du Mythe de Sisyphe , Meursault à la fin de l'Etranger , Caligula , Martha sont des nihilistes actifs , autant que des protagonistes qui vivent après la mort de Dieu et qui usent
leur énergie , parfois de manière presque suicidaire , à se rendre heureux, à atteindre l'impossible , tout en sachant que la finitude , l'opacité et la diversité du monde sont irréductibles.
( Source Hors-série Le Monde , Albert Camus )