CHAMP VALLON EDITEUR - 2010 - 216 pages
Au tango, les femmes ont les pieds nus, été comme hiver, toujours au bord de prendre un mauvais coup, et meurtris de bleu et de cru,
mal guéris du coup précédent.
Nous marchons dans les champ de mines.
Nous aimons ce qui ne dure ras. Les bons moments qui finissent mal.
Les lanières, la terre et le cuir dense des pieds d'homme
qui s'incrustent à vif dans nos pieds.
Singulier premier roman que cette plongée dans l'odeur du tabac ,
de la sueur et du parfum , au coeur de la nuit moite du tango parisien.
Ego tango suit le flux de pensées d'une jeune femme si imprégnée
de cette danse que sa voix en épouse le rythme et les poses.
Au hasard d'un bal aux Neufs Billards , d'un rendez - vous au Latina
ou d'une milonga dans un deux - pièces infesté de chats ,
on partage ses errances dans le monde exotique et infernal
des tangueras de fortune : âmes esseulées , artistes maudits ou dépressifs
qui noient leur échec le temps d'une tanda où le temps s'arrête.
" Nous y passons la nuit , le jours que nous ne vivons plus.
Nous qui n'avions le temps de rien. Nous que le temps pressait.
Nous et notre vie qui attend. Notre vie attendra. "
Ici , la tromperie est de rigueur. Le visage caché dans une épaule ,
on simule l'ennui ou l'indifférence , on provoque avant de se retirer ,
on feint de se soumettre pour mieux dominer.
A l'image du tango dont les figures , comme les feintes , disent la rivalité
ou la répulsion autant que le désir et la fascination ,
l'auteur dessine un étonnant chassé - croisé amoureux.
Il y a la narratrice et son amant de passage.
Et puis un vieux décadent dont la mystérieuse maîtresse ,
femme fatale aux cheveux rouges et au grand manteau noir ,
est de " ces traîtresses de bas - fonds qui vous descendent
un homme rien qu'en levant les yeux ".
Quand cette dernière s'évapore a et qu'une vidéo laisse croire à un meurtre ,
on sait trop bien , déjà , que le tango peut mal tourner.
Mais , au -delà de l'intrigue policière , Ego tango se distingue
par son écriture charnelle et carnassière , entièrement dédiée
à ce corps que la danse permet de libérer et qu'on use
jusqu'à l'épuisement comme sous l'emprise d'une drogue.
Corps amaigri , corseté , meutri par les bals , avec son lot de marques
et de douleurs que l'on s'efforce de masquer.
Corps adulé , vénéré , fétichisé , puis rejeté nonchalamment
pour mieux dompter le désir de l'autre.
Et c'est dans l'étreinte ou abrazo que se construit la grammaire d'Ego tango ,
cette juste balance entre violence et volupté , ce phrasé au rythme
syncopé des pas de côté , cette langue qui semble trébucher
mais retombe toujours sur ses pieds.
Caroline De Mulder maintient jusqu'au bout cet équilibre fragile.
Elle tourne autour du mot , détourne le sens et retourne la syntaxe
pour imposer sa voix atypique et prometteuse.
Comme une mirada , ce regard par - dessous , mystérieux et insistant ,
que lance le tanguera pour vous convier à un autre tour de piste.
Caroline De Mulder est née en 1976 à Gand ( Belgique ).
Ego Tango est son premier roman.
A découvrir !!!
( Source Le Magazine Littéraire - septembre 2010 )
Anis (La librivore) 17/10/2010 20:13