LE DISCOURS DE STOCKHOLM
Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre,
tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des
souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste
parce qu’il se sentait différent apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui
aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien; ils s’obligent à
comprendre au lieu de juger. Et, s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur,
qu’il soit travailleur ou intellectuel.
La pensée de Camus condensée en une cinquantaine de pages... C'est un peu
ce que fournissent ces deux textes: le discours prononcé à Stockholm le 10 décembre 1957, à l'occasion de la remise du prix Nobel, et la conférence qu'il donna quelques jours plus tard devant les
étudiants d'Uppsala. Il y est question des deux totalitarismes, de l'art pour l'art, du réalisme socialiste et du fameux «engagement» de l'intellectuel - en des termes qui n'ont rien perdu de
leur acuité. Qu'on en juge: «C'est ainsi que beaucoup de nos artistes aspirent à être maudits, ont mauvaise conscience à ne pas l'être, et souhaitent en même temps l'applaudissement et le
sifflet.» Ou encore: «L'académisme de droite ignore une misère que l'académisme de gauche utilise.»
Enriqueta 23/01/2010 09:48
FABIENNE 23/01/2010 18:07