( Illustration Emmanuel Polanco )
Un même problème philosophique fonde le Mythe de Sisyphe et l'Homme révolté : le rapport à la mort.
Albert Camus aimait pratiquer la philosophie en cartésien.
Il lui fallait des points de départ certains et radicaux.
Chacun des deux grands essais qui ont fait sa renommée : " Le Mythe de Sisyphe " ( 1942 ) et " L'Homme révolté " ( 1951 ) , observent une attitude analogue à celle de descartes cherchant dans le
doute hyperbolique le moyen qui pourrait conduire au point archimédien.
Et comme la philosophie d'Albert Camus est morale , il recherchait , pour caler l'ensemble de sa démarche , des conduites radicales , des condites métaphysiques qui mettent en jeu le fondement
des choses et de ses valeurs.
" Le Mythe de Sisyphe " s'ouvre sur la question du suicide.
" L'Homme révolté " , sur celle du meurtre.
Dans les deux cas , le point de certitude , la référence suprême est cherchée dans un certain rapport avec la mort. " Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide.
Juger que sa vie vaut ou ne vaut pas d'être vécue , c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste , si le monde a trois dimenions , si l'esprit a neuf ou douze catégories
, vient ensuite ". La mort , la sienne propre ou celle d'autrui , est pour Camus le seul point à partir duquel il y a lieu d'évaluer la vie , la mienne dans le cas du suicide , celle d'autri dans
le cas du meurtre.
Les valeurs de la morale dériveront naturellement dès lors que je saurai trouver une raison pour vivre plutôt que mourir et pour condamner le meurtre , la peine de mort quelles qu'en soient les
justifications.
De ce rapport à la mort , nous ne décidons pas. Il comporte une dimension qu'on pourrait dire structurale ; il est de principe mais s'incarne dans l'histoire selon des formes et des figures
différentes.
Chaque conjoncture vit ce rapport à la mort selon une passion ou un sentiment déterminé qui la colore et lui donne sa métaphysique.
" Le Mythe de Sisyphe " commente le sentiment de l'absurde , " L'Homme révolté " veut comprendre la dialectique de la révolte et de la révolution qui , depuis la Révolution française et en
particulier au XX è siècle , a ensanglanté le monde entier.
Ce faisant la démarche d'Albert Camus n'est pas non plus sans rappeler le Hegel de La Phénoménalogie de l'esprit : il lui apprend la dialectique du maître et de l'esclave dont le principe est
aussi de faire du rapport à la mort le principe de toute valeur ; il lui reprend encore l'idée que ce rapport à la fois s'incarne dans des figures historiques mues par d'impitoyables
dialectiques.
L'absurde, ce sentiment qu'Albert Camus mit en scène dans
" L'Etranger " et dont il donna la clef dans
" Le Mythe de Sysyphe ".
" Quel est donc cet incalculable sentiment qui prive l'esprit du sommeil nécessaire à sa vie ? Un monde qu'on ne peut expliquer même avec de mauvaises raisons est un monde familier.Mais au
contraire dans un univers soudain privé d'illusions et de lumières , l'homme se sent étranger. Cet exil est sans recours puisqu'il est privé des souvenirs d'une patrie perdue ou de l'espoir d'une
terre promise. Ce divorce entre l'homme et sa vie , l'acteur et son décor , c'est proprement le sentiment de l'absurdité ".
Tout est dit : l'absurde désigne un certain mode de rapport à soi-même , aux autres et au monde , une forme d'expérience que l'on subit ou que l'on s'exerce à vivre en se rendant étranger au
monde des autres.
On peut faire l'expérience de l'absurde à de multiples occasions : l'absurde est d'abord dans la répétition des habitudes et des gestes quotidien dès lors que l'on ressent que cette répétition
n'a pas de sens.
Le monde moderne , métro - boulot - dodo , le travail répétitif se déclarent absurdes dès lors que l'on découvre qu'il ne tient que par habitude , urgence et conformisme.
Prendre conscience que tout cela est vide et sans raison , c'est l'absurde !
( Source Magazine Littéraire 1990 )
Bea kimcat 09/12/2009 22:49
FABIENNE 10/12/2009 09:10