Un poète : Valéry Larbaud
Un recueil : Les poésies de A.O. Barnabooth (1913)
Un poème :
Musique après une lecture
Assez de mots, assez de phrases ! ô vie réelle,
Sans art et sans métaphore, sois à moi.
Viens dans mes bras, sur mes genoux,
Viens dans mon cœur, viens dans mes vers, ma vie.
Je te vois devant moi, ouverte, interminable,
Comme une rue du Sud béni, étroite et chaude,
Et tortueuse entre des maisons très hautes, dont les faîtes
Trempent dans le ciel du soir, heurtés
Par des chauves-souris mou-volantes ;
Rue, comme un grand corridor parfumé
D’un Barrio del Mar dont la mer est en effet voisine,
Et où, dans la nuit calme, tout à l’heure,
Les serenos psalmodieront les heures…
Mais, ma vie, c’est toujours cette rue à la veille
Du jour de Saint-Joseph, quand des musiciens,
Des guitares sous leurs capes, donnent des sérénades :
On entendra, jusqu’au sommeil très doux, le bruit
Plus doux encore que le sommeil des cordes et du bois,
Si tremblant, si joyeux, si attendrissant et si timide,
Que si seulement je chante
Toutes les Pepitas vont danser dans leurs lits.
Mais non !
Mon chant entrecoupé de cris ! mon chant à moi !
(Ce n’est pas toi, Amérique, tes cataractes, tes forêts
Où frémit la venue du printemps, ce n’est pas toi,
Grand silence des Andes prodigieux et solitaires,
Ce n’est pas vous, non, qui remplissez ce cœur
D’une harmonie indescriptible, où se mêlent
Une joie féroce et des sanglots d’orgueil !...)
Oh ! que j’aille dans les lieux inhabités, loin des livres,
Et que j’y laisse rire et hurler
La bête lyrique qui est en mon sein !
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C'est en 1902 que Barnabooth prend vie dans l'esprit de Valéry Larbaud à Londres. Son nom vient de Barnes (localité près de Londres) et Booth (enseignes de pharmacies anglaises).
Le 4 juillet 1908 paraissent à ses frais 100 exemplaires des "oeuvres françaises de Barnabooth".
Il supprime quelques poèmes lors de l'édition de 1913.
Barnabooth se montre voyageur, généreux... Valéry Larbaud a laissé à son personnage sa "vérité d'auteur", puisque c'est lui qui écrit et il lui attribue les style d'un écrivain cosmopolite, ce qui explique le mode prosodique très débridé.
Ces "oeuvres" se décomposent en deux parties : "les Borborygmes", à laquelle appartient le poème "Musique après une lecture" et Europe.
Dans ses "poésies diverses", il n'hésite pas à écrire un poème "A M.Valéry Larbaud".
Ce recueil montre une grande modernité.
Bonne lecture
Denis